Philippe ROS, chef opérateur qui a signé, entre autres, la photo de OCEANS (Jacques PERRIN) et HOME (Yann ARTHUS-BERTRAND) vient de publier un article sur le site de l'AFC, intitulé : La place du directeur photo dans la chaîne numérique.
L'article s'attache à remettre un peu d'ordre dans les idées lorsqu'il s'agit d'évaluer la "qualité" du traitement de l'image numérique pendant le tournage et en post-production et la place du directeur photo dans le processus.
Philippe ROS est plutôt critique sur le sujet et s'étend assez longuement sur les paramètres techniques de la prise de vue en numérique. Jusque là pas de problème, et les nombreux aficionados du numérique et du 4K que l'on rencontre sur la toile n'y trouveraient sans doute rien à redire... Seulement M. ROS commet assez vite un crime de lèse-majesté : il critique durement la RED, qu'il présente en fait comme "un intéressant symbole d’une certaine conception du marketing" . Et là, levée de boucliers sur le site camera-forum et commentaires plutôt acerbes de certains "praticiens": comment ose-t-on toucher à ce symbole de la démocratisation du cinéma ?
D'autant que M. ROS aggrave son cas -si l'on peut dire- en comparant ces mêmes aficionados à des geeks plutôt qu'à des artistes...
Il faut dire que la comparaison était sans doute malheureuse, et les mots plutôt mal choisis, mais les réactions indignées qui ont suivi sont plutôt exagérées et témoignent en tous cas d'une méconnaissance de la littérature sociologique de ces dernières décennies : si on peut craindre, en effet, de voir phagocyter la création de l'image cinématographique par des techniciens préoccupés avant tout de la forme d'une courbe sur un oscilloscope ou des paramètres d'encodage en H.264, il faut reconnaître, tout de même, que les lignes ont bougé depuis pas mal de temps, et qu'un directeur photo aujourd'hui ne peut plus se permettre d'ignorer les caractéristiques du workflow sur la chaîne numérique. Et cela Philippe ROS le montre fort bien.
Mais le véritable problème semble bien être cette assimilation de certains férus de technologie à des "geeks" plutôt qu'à des praticiens. Le débat n'est pas nouveau. Un fossé sépare en effet les tenants de l’approche culturelle, qui accordent un rôle prépondérant à la connaissance des codes et des symboles d’une écriture cinématographique, et ceux qui ont une conception instrumentale du rôle de la technique dans la création audiovisuelle. On peut penser aux comportements décrits par C.P. Snow, dans un travail classique , lorsqu’il montre que les différences d’approche dans la conception du travail analytique et dans la recherche aboutissent à créer des comportements stéréotypés entre tenants d’une culture scientifique et technologique (les « nerds ») d’une part et l’ensemble des littéraires et des artistes (les « fuzzies » ou « bohemians ») d’autre part. Aujourd'hui on peut dire que le choix du support est dépassé, mais pas celui relatif aux rapports toujours difficiles entre esthétique et technologie
La preuve, avec cette controverse qui n'a pas vraiment lieu d'être à ce moment de l'Histoire.
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