Renoir antisémite ? Louis Skorecki, critique de cinéma, affirme sur sa page facebook :
La scène se passe en 1940, à Lisbonne
Jean Renoir attend le bateau qui le mènera aux USA, pays que le cinéaste a choisi pour son exil.
LE JOURNALISTE : "Alors, M. Renoir, vous quittez l'Europe? Vous quittez la France?"
JEAN RENOIR: "Hélas oui... Et ce n'est pas sans regrets. Mais je suis un homme d'humeur, et souvent irréfléchi, et j'ai commis quelques imprudences. Je me suis stupidement compromis avec le Parti Communiste et les gens de gauche. Mais le temps travaille pour moi. Je reviendrai en France. Hitler est un homme à ma main, je suis sûr que nous nous entendrons très bien tous les deux, car nous sommes confrères. J'ai été victime des Juifs qui nous empêchaient de travailler et qui nous exploitaient. Quand je reviendrai, je serai dans une France désenjuivée, où l'homme aura retrouvé sa noblesse et sa raison de vivre."
(signé DOCTEUR DEVO)
La véritable question c'est peut-être QUI, en ces temps-là (les années 1930) n'était pas plus ou moins antisémite, ou ne nourrissait pas quelques préjugés à l'encontre des juifs, dans les milieux de l'art et de la culture... En tous cas on ne peut pas lui faire de reproches concernant ses relations avec Louis-Ferdinand Destouches. Voir ceci : https://journals.openedition.org/1895/4317
On peut regretter aussi l'absence de travaux sur l'antisémitisme et la collaboration dans les milieux du cinéma, comme il a pu y en avoir en littérature (voir par exemple : "Le soufre et le moisi", de François Dufay).
Selon Jacques Aumont, " Tout cela est de notoriété publique depuis belle lurette. C'est en toutes lettres dans la biographie (excellente) de Pascal Mérigeau. Et sur ce plan il était pleinement de sa génération, engluée dans ses contradictions et qui n'arrivait pas à en finir avec le vieux réflexe antijuif.
Par ailleurs, Renoir n'avait pas d'opinions arrêtées. Il disait tout et le contraire de tout, parfois dans la même conversation. Il a réellement aimé Dalio et loué les qualités par exemple de Deutschmeister. Mais par ailleurs il lâchait sans y penser les pires clichés antisémites."
La question de la présence des juifs dans les milieux du cinéma et, comme on dit de nos jours, dans les médias, est un vieux serpent de mer de l'antisémitisme, qu'il soit affiché ou non. Il faut cependant aborder la question autrement que par le biais de l'analyse traditionnelle de leurs rapports avec le christiannisme. La modernité européenne a vu apparaitre une nouvelle bourgeoisie d'affaires, ayant un statut distinct des patrons du nouveau monde industriel en formation et des aristocraties paysannes. Les juifs, auxquels l'émancipation progressive ouvrait les portes de toutes les professions, se sont naturellement dirigés vers celles qui ne demandaient pas un enracinement profond dans les structures traditionnelles ou la possession d'un patrimoine mobilier important (les terres, en particulier). Les révolutions technologiques du XIXème siècle, et le fait qu'elles avaient lieu dans un contexte de tabula rasa, étaient toutes indiquées dès lors qu'on disposait d'un certain capital financier et de beaucoup d'imagination. Il fallait aussi une certaine liberté d'action. Le cinéma, technologie et spectacle, dont le statut auprès des élites intellectuelles n'était pas encore celui des disciplines artistiques classiques, était tout indiqué pour cela. On n'y retrouvait aucune des entraves propres à certaines professions, destinées à maintenir à l'écart les juifs et d'autres minorités. Les juifs pouvaient donc y investir librement et d'autre part, comme le précise Neal Gabler à propos de Hollywood (voir : "Le royaume de leurs rêves", Calmann-Lévy, 2005) , le cinéma était tout indiqué pour leur permettre d'établir à la fois leur identité américaine dans un pays d'immigrants, et de participer à la création d'une nouvelle culture populaire au XXème siècle.
Pourquoi une telle évolution ne s'est pas produite en France, au début du siècle du cinéma ? Il y a sans doute deux éléments clés qui peuvent permettre d'expliquer cela (ou un seul, si on les confond) : tout d'abord la montée d'un nouvel antisémitisme, au XIXème siècle, distinct de l'antisémitisme chrétien classique, celui qui voyait alors les juifs comme le peuple déicide.Ce nouvel antisémitisme ne se fondait plus seulement sur la religion, mais voyait le juif comme représentant une catégorie ethnique particulière, différente en tous points des caractéristiques physiques attribuées au peuple de France. Cette idée parcourt alors tout le milieu des lettres françaises, de
Drummont et Daudet et jusqu'à Maurras et Céline, pour les représentants
les plus extrêmes de ce courant. On passait donc d'un antisémitisme religieux à un antisémitisme dans lequel la composante raciale était prépondérante. L'autre élément c'est l'affaire Dreyfus. Celle-ci vient une fois pour toutes remettre en question l'appartenance des juifs à la communauté nationale, et le doute sur cet élément ne sera pratiquement jamais levé depuis.
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