André Malraux chez lui (photo : Maurice Jarnoux) |
Une
grande partie des changements produits par le numérique concerne notre manière d’acquérir
des connaissances et la manière dont des organisations – institutions publiques
et privées – se chargent de mettre à disposition ces connaissances. Le Web, ou World
Wide Web, est devenu aujourd’hui l’un des principaux outils de partage des
savoirs, et son évolution à partir des années 2000 et la mise en place d’une
évolution majeure qu’on a appelé « Web 2.0 » a fait entrer le réseau
dans une nouvelle ère.
La
période que nous vivons, en effet, a été marquée par l’arrivée de nouvelles
technologies qui ont permis d’intégrer des contenus plus riches – vidéo et
interactivité, en particulier – et de transformer complètement l’utilisation du
réseau. Il est indéniable que les organisations, en particulier celles en
charge de la culture et de la conservation du patrimoine, ont vu dans cette
émergence d’un Internet plus convivial et plus rapide, la possibilité d’adopter
de nouvelles stratégies de communication en direction des centres de recherche
ou des particuliers. L’un des éléments les plus importants de ces stratégies
avait trait à la numérisation des
documents et des bibliothèques, rendant possible l’accès des sources en tous
points de la planète. Un autre élément apparu avec le Web 2.0 a été très
rapidement la possibilité d’inclure des présentations multimédias, lesquelles
sont devenues progressivement plus riches et plus importantes à mesure que se
développaient les capacités des réseaux. C’est ainsi qu’on a pu voir apparaitre
un certain type de sites aux contenus enrichis par des possibilités d’interactivité
étendues, qu’on a pu appeler des « musées virtuels ».
On a
pu dire que cette « révolution » du numérique permise par le Web 2.0
a été aussi le point de départ d’une évolution des concepts opérationnels de la
médiation culturelle. Si la médiation des œuvres d’art a toujours accompagné la
découverte des œuvres par des dispositifs classiques de sensibilisation, tels
que conférences, articles de presse ou films vidéo, le développement des
technologies de « réalité augmentée » ont fait entrer les musées et
les centres de diffusion de la culture dans une ère dite de « médiation
numérique ». Cette transformation ne s’est pas déroulée sans à-coups et on
a pu parler à ce sujet de « choc des cultures »[1].
Pour mieux comprendre comment a été conduite cette évolution, il importe d’en
connaitre les fondements épistémologiques en posant la question de savoir si la
culture numérique modifie le mode d’acquisition des connaissances et si cette
modification entraine une redéfinition du rôle de la médiation culturelle.
Cette question sera traitée dans une première partie.
Une
deuxième partie sera consacrée aux principes et aux technologies qui guident
les différents acteurs de la médiation sur le réseau Internet. Le développement
de nouvelles formes de médiation sur le Web sera abordé. Les acteurs de la
médiation culturelle ont été amenés à repenser la relation des institutions en
charge du patrimoine avec leur public potentiel. Quelles sont les conséquences
de ces évolutions dans le fonctionnement des organisations elles-mêmes ? Un
autre développement spectaculaire a été celui des réseaux sociaux dédiés à
diverses formes de médiation, scientifique, technique ou artistique. Ce sont
des plateformes collaboratives, pour la plupart, qui ont pour objet la
diffusion des connaissances les plus diverses et qui ne sont pas liées aux
grands réseaux que nous connaissons. Il est certainement intéressant d’explorer
leur rôle et de se demander s’il peut être assimilé à celui de médiateur
culturel.
1.
La
médiation culturelle à l’épreuve du Web : une culture numérique en
gestation ?
L’émergence
de ce qu’on peut appeler une « culture numérique » et ses
conséquences sur les différentes formes de médiation culturelle est liée aux
changements techniques récents qu’a connus la « médiasphère »
à travers la généralisation du traitement numérique de l’information et ses
applications : audiovisuel numérique, Gigabit Ethernet, Big Data
et, bien sûr, Web 2.0 et objets connectés. Ces changements ont des conséquences
épistémiques et ont permis « à la fois de prendre conscience d’une
dimension collective et sociale de la connaissance (étudiée aujourd’hui par
l’épistémologie sociale) et de remettre en cause certaines théories
épistémiques. »[2]
Le recours
au réseau Internet est devenu, de manière presque automatique, le passage
obligé pour la recherche d’informations ou pour l’acquisition de connaissances.
Qu’il s’agisse de puiser dans l’encyclopédie libre ou de se diriger dans une
ville, il est devenu habituel de se connecter au réseau et d’utiliser la
médiation d’acteurs non-humains. Il est donc légitime de questionner cette
culture numérique en formation sur la nature des outils qu’elle utilise et les
conséquences de leur usage pour les différentes formes de médiation culturelle.
On
peut, comme le soulignent Willaime et Hocquet, considérer que le numérique
rassemble différentes manières d’utiliser les outils que l’informatique met à
notre disposition, mais que celle-ci n’est qu’une partie du numérique, qui
pourra lui se retrouver dans d’autres champs culturels. Cependant, l’évolution
des outils informatiques eux-mêmes, avec le Web 2.0, contribue à la définition
de nouvelles modalités d’acquisition des connaissances. C’est ainsi que les
visiteurs d’un site Web peuvent aujourd’hui agir sur son contenu et ne plus en
être de simples spectateurs. Cette évolution est bien sûr fondamentale pour la
médiation culturelle, et les musées vont progressivement en prendre conscience
et tenter d’intégrer ces nouvelles possibilités à leurs sites et dans le cadre
réel des visites.
En
suivant Willaime et Hocquet, on peut estimer que les possibilités offertes par
le numérique « ne sont pas qu’une illustration de la construction
nécessairement communautaire des connaissances, elles sont surtout un moyen de
remettre en cause certaines positions épistémiques. »[3] La
question posée alors par l’utilisation du Web pour la médiation culturelle est
celle des enjeux de la numérisation du patrimoine et de l’impact social ou
politique de la mise à disposition des collections grâce à l’utilisation des
nouvelles technologies. Ici, ce sont les concepts de « musée
virtuel » et de « médiation numérique » qui sont interrogés. On
utilisera le terme de médiation numérique plutôt que celui de médiation
culturelle numérique, car les deux termes sont interchangeables dans le cadre
de cet exposé.
Le
musée virtuel est un objet qui est apparu sur le Web, avec le développement
d’un réseau plus rapide, reposant sur un web sémantique et un web des données
qui sont les évolutions les plus récentes de l’architecture proposée par Tim
Berners Lee et le W3C[4].
Mais le musée virtuel apparait aussi comme une sorte d’incarnation
électronique, en dehors du cadre mental des individus, du musée imaginaire
d’André Malraux. Cependant, l’ancien ministre de De Gaulle entrevoyait un lieu qui
ne peut exister que dans notre mémoire, un musée qui n’en a que le nom, mais
pas les murs. Un lieu impossible, que seule l’imagination est capable de
concevoir. Aussi, la seule visualisation permettant d’accéder à ces collections
« virtuelles » est celle permise par le livre et la photographie.
Malraux disait d’ailleurs lui-même que le musée imaginaire ne peut exister que
dans l’esprit des artistes.
Le
musée virtuel du 21ème siècle est donc quelque chose d’autre, tout
en rappelant par son absence de matérialité cet imaginaire aux contours flous
auquel Malraux pensait peut-être. Une définition du musée virtuel a été donnée
par Andrews et Schweibenz dans la revue Art et Documentation, en
1998 : « une collection d’objets numérisés articulée logiquement
et composée de divers supports qui, par sa connectivité et son caractère
multi-accès, permet de transcender les modes traditionnels de communication et
d’interaction avec le visiteur… il ne dispose pas de lieu ni d’espace réel, ses
objets, ainsi que les informations connexes, pouvant être diffusés aux quatre
coins du monde. »[5] Dans
cette même note, Schweibenz applique cette définition à plusieurs catégories de
sites déjà présents sur Internet :
-
Le
musée-brochure : il s’agit d’un site Web qui constitue en quelque sorte la
porte d’entrée du musée. Son objectif est d’informer les visiteurs potentiels
et il n’a pas encore les caractéristiques d’un musée virtuel.
-
Le
musée-contenu : le site Web présente les collections du musée et invite le
visiteur à les découvrir en ligne. Son organisation et son fonctionnement sont
identiques à celui d’une banque de données sur les collections et il n’apporte
pas d’éclairage didactique sur les collections.
-
Le
musée pédagogique : le site propose cette fois différents points d’accès
en fonction de l’âge, des centres d’intérêt et des connaissances des visiteurs
virtuels. L’information n’est plus orientée sur l’objet mais sur le contexte.
Le site est conçu dans une optique didactique et propose des liens vers des
ressources en ligne complémentaires, ce qui incite le visiteur à aller plus
loin et à revenir sur le site. Il y a donc une tentative de création d’une
relation entre le musée et le visiteur, relation qui peut prendre la forme de
visites au musée.
-
Le
musée virtuel : il représente la continuité du musée pédagogique, faisant
intervenir la relation avec le visiteur et la création de liens avec d’autres
collections numérisées. Il concrétise, en quelque sorte, le principe du
« musée sans murs » d’André Malraux.
Mais,
face à de tels développements, on a pu se poser la question de la légitimité de
ces musées virtuels, surtout au regard de la pérennité du patrimoine et de la
conservation des œuvres. En effet, pouvait-on se demander, ces opérateurs
virtuels n’allaient-ils pas supplanter à terme les structures en dur ? Et,
s’il est aisé de vérifier la légitimité de ces dernières, quelles sont les
modalités qui permettent d’évaluer celles de leurs homologues virtuels ?
Selon Cary Karp, « dans la mesure où le musée virtuel n’a pas de
dimension matérielle, mais peut néanmoins ressembler en tout point au
prolongement numérique d’un musée de briques et de ciment, comment s’assurer de
son authenticité ? Les institutions virtuelles ne peuvent être jugées qu’à
l’aune des données numériques qu’elles mettent sur Internet. Or si l’ouverture
d’un musée physique nécessite un investissement considérable en temps, en
efforts et en capitaux, et s’il n’est guère probable que quelqu’un construise
un bâtiment qui ne serait qu’une coquille vide, en revanche, créer un musée
virtuel n’existant que sur Internet peut prendre moins d’une heure, et fait
appel à des ressources techniques aisément disponibles pour tout internaute. »[6]
Museomix, Lyon 2012 |
On
voit que ce problème n’a toutefois pas arrêté le mouvement de dématérialisation
des collections des musées et, en parallèle, le mouvement d’intermédiation
numérique. Cary Karp concluait d’ailleurs son article de 2004 en appelant la
communauté des musées à exploiter le potentiel représenté par le numérique
plutôt qu’à chercher à l’entraver. Dix ans plus tard, son injonction semble
avoir été écoutée, puisque les plus grands établissements de la planète ont mis
en ligne, parfois avec des moyens et des objectifs sensiblement différents, des
portails disposant d’importantes ressources multimédias, et selon des logiques
de vitrine ou de réseaux que nous tenterons d’expliciter dans la deuxième partie.
Ce
n’est sans doute pas avec enthousiasme que bon nombre de conservateurs ont
suivi cette évolution et on a pu parler à ce sujet de « mariage de raison
du musée d’art et du Web »[7]. Les
craintes initiales d’assister à une « désacralisation de l’art » (ce
qui en dit long sur les a priori élitistes des personnes responsables) et à une
baisse de fréquentation ne s’étant pas confirmées, cette émergence d’une
véritable culture numérique dans le monde de la médiation culturelle a permis
une redéfinition des liens avec le public et des stratégies de
communication. Les initiatives se sont
multipliées tout au long des années 1990-2000 et on a pu voir prendre forme des
positionnements complémentaires de l’offre Internet par rapport au musée :
la vente en ligne a commencé à se développer même si, en France elle est restée
longtemps en-deçà de ce qui se faisait dans les pays anglo-saxons. Progressivement
cependant, la médiation culturelle s’adapte aux demandes formulées par les
publics, et on voit se développer de véritables stratégies de communication et
de marketing parfaitement adaptées à un contexte dans lequel la médiation, en
tant que relation entre les œuvres et le public, a perdu la forme matérielle
qui la caractérisait jusque-là. Le lieu
d’appréciation l’œuvre d’art n’est plus la crypte (shrine) ou la voute
soigneusement éclairée du musée, elle apparait désormais dans le salon ou le
bureau de toute personne disposant d’une (bonne) connexion au réseau.
Dans
l’univers de la médiation culturelle, la culture numérique apparait comme un
changement de paradigme radical et, pour paraphraser Serge Tisseron, elle est
ce qui est en train d’affranchir la culture des écrans de la référence à
l’œuvre matérielle[8].
Mais elle représente aussi, sans doute, le stade ultime de la perte d’aura de
l’œuvre d’art[9],
ayant en quelque sorte définitivement confondu les collectionneurs clandestins,
puisque tout un chacun peut désormais posséder des reproductions parfaites et
les admirer sur des écrans haute définition, voire Ultra-HD.
2.
La
médiation culturelle dans la fabrique du numérique : des principes aux
pratiques
Modélisation d'objets issus de recherches archéologiques |
A
l’heure des réseaux sociaux et de l’internet des objets, la culture numérique,
on l’a vu, impose des mutations aux institutions en charge du patrimoine.
Comment l’institution muséale dans son ensemble a-t-elle négocié ce virage
numérique, et quelles stratégies techniques et organisationnelles ont été mises
en œuvre pour assurer cette évolution ? Qu’est-il advenu de la relation de
médiation entre le musée et le public, lorsque les technologies du Web
elles-mêmes ont connu des transformations qui ont changé les pratiques et les
modalités d’accès aux contenus ?
Les
questions qui se sont posées, à partir de l’apparition sur le Web des premiers
sites de musées virtuels, ont concerné d’emblée la mise en valeur des
collections ou les pédagogies à adopter en direction du public. La manière dont les institutions muséales
vont négocier le virage du numérique – qu’il s’agisse de musées d’art ou des
sciences et des techniques – mérite d’être développée. Les stratégies de
communication sur le Web seront cependant dépendantes d’une part du modèle de
fonctionnement adopté – vertical, d’abord, puis horizontal et collaboratif – et
d’autre part de la diffusion des technologies de l’information dans la société.
En effet, à partir des années 1990 il ne suffit pas de disposer d’un PC chez
soi. Ce qui va devenir central et constituer le lien principal entre le musée
virtuel en gestation et son public c’est la possibilité pour une partie de la
population de disposer d’un réseau de données relativement rapide, et donc
d’avoir des capacités matérielles pour accéder à des présentations multimédias.
Rappelons que l’ADSL ne commence véritablement à être installé chez les
particuliers, en France tout au moins, que vers la fin de l’année 2000.
Les
premiers musées qui s’installent sur le Web seront donc ceux qui ont investi
dans des moyens multimédias conséquents et qui ont aussi la possibilité de
diffuser – sachant qu’il faudra rapidement étendre ces capacités à mesure que
les publics deviennent plus nombreux et mieux équipés[10]. Mais
le principal problème auquel vont se heurter les institutions muséales,
lorsqu’il va être question de développer des interfaces originales, sera le
manque de personnel et de structures qualifiées. En France, le Musée des Arts
et Métiers fera office de précurseur en la matière en mettant en ligne le
catalogue de ses collections (1994). Disposant de capacités plutôt rares pour
l’époque, il se lancera dans l’exploitation pédagogique de certains éléments de
ses collections (le pendule de Foucault en est un exemple remarquable) et fera
ensuite école, puisque cette dimension pédagogique se retrouvera dans bien des
sites de musées des sciences et techniques.
Le
manque de personnel qualifié, programmeurs, infographistes ou spécialistes de
la scénarisation des contenus, est cependant un frein à ces développements.
Certaines créations se font « hors les murs », tel l’exemple fameux
du site indépendant « Web Louvre », crée en 1994 par un jeune
polytechnicien, et que le musée va récupérer (propriété du nom oblige) pour
constituer ainsi l’ossature de son propre portail. Les initiatives sont aussi
parfois le résultat inattendu de l’implication de personnes travaillant un peu
dans les marges de l’institution : ce sera le cas du site du Musée des
Arts Décoratifs, dont l’animateur sera, dans un premier temps, le gardien de
nuit, passionné de technologie.
Cependant,
à partir de 1998 les actions vont s’inscrire dans le cadre du Plan
gouvernemental pour la société de l’information. Le domaine culturel devient un
axe prioritaire pour le développement des usages du Web à destination du grand
public. Le constat à l’époque est que, dans un pays qui compte de plus en plus
de personnes ayant accès au réseau, la faiblesse des infrastructures (nombre de
serveurs insuffisant, temps d’accès rédhibitoires) constitue un frein au
développement des sites à vocation culturelle. L’initiative gouvernementale
visant à la mise en place d’une « boucle des contenus » va permettre,
à partir de février 2001, de relier Renater (réseau national des
télécommunications pour la Technologie, la Recherche et l’Enseignement) et
différents sites (BnF, ministère de la Culture, Cité des Sciences et de
l’Industrie…) par des liaisons à 34 ou 155 Mbits/s. Des initiatives émergeront
ensuite de manière progressive dans les régions.
Les
progrès en termes de fréquentation suivront de manière parfois spectaculaire,
mais la concurrence qui se dessine implique dès lors une demande croissante en
matière d’innovations. Cette demande concerne surtout le besoin d’un design
plus personnalisé : charte graphique, compositions, interactivité… On voit
dès lors apparaitre de nouveaux acteurs, ce sont les entreprises spécialisées
en Web Design. En parallèle, on voit arriver dans les musées des
personnels formés aux technologies multimédias. Les écoles traditionnelles vont
commencer à délivrer des diplômes spécialisés ou à inclure des modules de
formation aux technologies du numérique dans leurs cursus : c’est le cas
des traditionnelles écoles des Beaux-Arts, à commencer par l’ENSBA, bientôt
suivie par les Arts Décoratifs (ENSAD), ces deux établissements mettant en
place plusieurs formations en Arts numériques, Images de synthèse, etc. Alors
que formations, initiatives et conférences se multiplient tout au long des
années 2000, « il demeure toutefois difficile de parler d’une
profession unifiée par des pratiques, une formation et une organisation, tant
les responsabilités et les fonctions sont multiples. »[11]
En effet, les missions des concepteurs et des animateurs de sites sont
différentes en fonction de la taille des équipes et du cadre dans lequel est
réalisé le site, selon qu’il est entièrement conçu en interne ou externalisé.
Cependant, des initiatives comme Museomix, apparu au sein du Musée des
Arts Décoratifs en 2011, permettent aux professionnels de se retrouver et de
confronter leurs pratiques dans une sorte de marathon interprofessionnel. Trois
jours durant, des équipes composées de professionnels ayant des compétences
différentes – du professionnel de la médiation au codeur, en passant par
l’infographiste et le professionnel de la communication – se réunissent dans
des musées situés aux quatre coins du globe et entreprennent de créer, en un
temps record, de nouveaux outils de médiation.
Cependant,
le recours à des prestataires extérieurs est devenu désormais courant, car la
complexité des outils requis pour le développement de nouvelles
fonctionnalités, ainsi que les temps de production, ne permettent plus de se contenter des bonnes
volontés en interne. On note d’ailleurs que « l’externalisation de la
réalisation répond à une demande de savoir-faire et d’expertise et une volonté
d’attractivité à l’égard d’internautes de plus en plus sollicités. D’une offre
de pénurie à une offre pléthorique, d’un modèle top-down de diffusion des
contenus à un renversement, au moins dans les discours, vers des initiatives
présentées comme bottom-up, les musées se retrouvent face à des utilisateurs de
plus en plus exigeants. »[12] Un
autre élément qui est venu accélérer la transformation de la médiation dans sa
relation aux publics est le tournant que connait le Web à partir de 2005 avec
l’apparition du Web social. C’est à partir de là que se développent des
applications qui mettent de plus en plus l’utilisateur au centre du réseau, en
raison de la possibilité qui est donnée de pouvoir publier et interagir sur les
contenus avec une grande variété d’outils. Le Web social est aussi un
instrument marchand, et les musées vont se saisir à leur tour des outils
proposés sur les réseaux sociaux et progressivement établir une présence
multiplateforme.
Le
développement des réseaux sociaux a cependant transformé la relation de la
médiation établie par le musée avec son public. Traditionnellement, cette
communication s’effectuait, on l’a dit, selon un modèle descendant (top-down)
des « sachants » vers les « profanes ». Le musée, à travers
les contributions de ses personnels ou de comités scientifiques, délivre le
discours expert, le public est captif. La communication est à sens unique. On
peut parler ici d’une logique vitrine (inside-out). A l’inverse, dans le modèle
de la logique relationnelle (outside-in) promue par les réseaux sociaux, qui
forment par définition un système ouvert, les contenus sont disponibles pour
tous les membres de la communauté.
Les
établissements culturels publics (médiathèques, musées, CCSTI…) sont confrontés
aujourd’hui à cette question du passage d’une médiation verticale à la
communication horizontale mise en œuvre (au moins partiellement) sur les
réseaux sociaux. Il existe une volonté affichée aujourd’hui pour ouvrir la
structure de ces établissements et de procéder de la sorte à la création de
biens (culturels) communs. Cependant, « les musées n’ont pas cette
dimension « organique » dans leurs ADN, d’où leur difficulté à
s’adapter, à évoluer, à innover vers des solutions « agiles »,
ouvertes, co-créatives, plus adaptées aux usages de « nos usagés »[13].
Voilà semble-t-il la tâche qui attend les institutions en charge du patrimoine
et les professionnels de la médiation à l’aune des défis posés par le réseau
des réseaux.
[1] S. BAUSSON
et F. DURANTHON, Web et musées : le choc des cultures, La Lettre de
l’OCIM, n°150, novembre-décembre 2013
[2] Pierre
Willaime et Alexandre Hocquet, Wikipédia au prisme de l’épistémologie
sociale et des études des sciences, Cahiers philosophiques 2015/2 (n°141),
p. 68-86.
[3] Ibid.
[4] Pour des
développements : le site Semantic HPST : http://semhpst.hypotheses.org/ et une
multitude de documents accessibles sur le Web.
[5] W. S.
Schweibenz, L’évolution du musée virtuel, Les Nouvelles de l’ICOM
n°3 : Gros plan sur le musée virtuel, 2004.
[6] Cary
KARP, La légitimité du musée virtuel, Les Nouvelles de l’ICOM,
N°3 : Gros plan sur le musée virtuel, 2004.
[7] Valérie
SCHAFER, Benjamin THIERRY, Le mariage de raison du musée d’art et du Web,
Hermès, La Revue 2011/3 (n° 61), p. 102-105.
[8] Dans un
entretien à Culturemobile.net, le 22 août 2012.
[9] Selon
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
[10] Nous
suivons ici les développements de Valérie SCHAFER, Benjamin THIERRY et Noémie
COUILLARD, Les musées, acteurs sur le Web, La Lettre de l’OCIM,
142/2012.
[11] V.
SCHAFER et al., op. cit.
[12] Ibid.
[13] Samuel
BAUSSON et Francis DURANTHON, Web et musées : le choc des cultures,
La Lettre de l’OCIM, 150/2013
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