dimanche 3 novembre 2013

La FIN du cinéma ? Notes à propos du livre de Gaudreault et Marion

 Choisir comme titre une référence à celui du livre de André Gaudrault et  Philippe Marion, intitulé justement "La Fin du Cinéma" c'est d'une certaine façon se ranger du côté de ceux qui pensent que, effectivement la question de la fin d'une certaine forme de cinéma est posée. Ce n'est pas forcément accepter l'idée que le cinéma, en tant qu'expérience culturelle collective, est appelé à disparaître. Dans un autre domaine, l'économiste Joseph Schumpeter montrait que le processus de destruction d'anciennes formes de production était concomitant de l'apparition d'un nouveau système, porté par des vagues d'innovations appelées à transformer la société toute entière. C'est ce qu'il qualifiait de "destruction créatrice".
On peut penser que le processus enclenché depuis quelques années déjà sous le qualificatif de "révolution numérique" procède des mêmes principes et nous amènera à terme aux mêmes transformations... Nous reviendrons sur cette question, avec une revue complète du livre de Gaudrault et Marion, et en y ajoutant sans doute d'autres titres. A remarquer tout de même que cette question (celle de la "fin du cinéma") s'est posée déjà à plusieurs reprises, ne serait-ce qu'au moment où la concurrence de la télévision a amené les industriels et les producteurs à développer de nouvelles technologies (cinémascope, relief), censées enrichir l'expérience de la projection cinématographique en salle, et contrer ainsi l'influence du petit écran. En témoigne cette couverture de Paris-Match, du 25 juillet 1953, reproduite dans le livre des auteurs sus-cités. L'expérience cinématographique, en tous cas, ne se limite plus à la projection collective en salle (une salle obscure s'entend), dans une temporalité qui correspond à la durée du film. Le DVD, depuis plusieurs années déjà, et maintenant les fichiers de type MKV ou autres, permettent une expérience fragmentée et différents types d'allers et retours sur image qui transforment bel et bien la nature de la relation que le spectateur entretient désormais avec l'objet cinéma. Quid d'ailleurs des conséquences de la généralisation de la projection numérique et du DCP ? Car le fait que le support du film est dématérialisé implique forcément, à brève échéance, la disponibilité de cette distribution partout où existeront des dispositifs d'enregistrement et de diffusion compatibles. Et désormais la qualité est au rendez-vous : écrans 4K et plus et enregistreurs numériques qui deviendront progressivement accessibles au plus grand nombre.  Dès lors comment amener le public à sortir de chez soi et à se rendre dans les salles ? On aura beau répéter que voir un film de Fritz Lang ('Secret beyond the door' par exemple) sur un écran OLED ou dans une salle de cinéma ce n'est pas la même chose (noir et blanc oblige), on ne convaincra pas grand monde, surtout dans les villes où les salles dites "d'art et d'essai" n'ont pas projeté de tels films depuis des lustres...                                                                           
Certains d'ailleurs, comme Peter Greenaway, pensent que le cinéma est bel et bien mort et enterré, et estiment que cette agonie a commencé en 1983, avec l'apparition de a télécommande pour le magnétoscope (rien à voir donc avec le numérique, puisque le dispositif d'alors est simplement électronique, même s'il comporte des circuits intégrés numériques). En réalité, Greenaway pense qu'à la projection en salle, avec des spectateurs passifs devant l'écran, est en train de se substituer une expérience interactive, plus en phase avec les développements actuels en matière de jeux vidéo, de performances multimédia (lui-même a été très actif sur ce terrain, en témoigne cette vidéo sur YouTube), et de télévision connectée, dernière tentative en date des médias de masse et des industriels pour récupérer l'énorme potentiel généré par les réseaux sociaux. Cette révolution remettrait en question les fondements mêmes de la production de films de cinéma, telle que nous la connaissons - disparition de la caméra par exemple, comme il le dit dans cette interview diffusée sur YouTube






Un autre aspect de cette transformation radicale de la production et de la diffusion - qui n'est pas abordé par Gaudreault et Marion, et à peine effleuré par David Bordwell dans son dernier ouvrage, concerne le futur de certains métiers liés à la post-production et l'avenir de ce secteur tout entier d'ailleurs. En effet, avec les développements que l'on connait, il est devenu relativement facile pour un  "indépendant" (ne parlons pas d'amateur, car cette catégorie n'existe plus) de s'équiper avec du matériel et des logiciels autrefois réservés à des sociétés de production disposant d'une infrastructure conséquente. Après Final Cut Pro, devenu le principal concurrent d'Avid, le dernier pavé dans la mare digitale nous vient du britannique Blackmagic Design qui, après avoir racheté DaVinci et son fameux logiciel d'étalonnage numérique Resolve, en a mis à disposition de tous une version gratuite, dite "Lite",  avec quelques limitations par rapport à la version complète, mais qui est parfaitement opérationnelle, multiplateforme et permettant à toute personne équipée d'une machine récente, tournant sous Mac OS ou Windows,  de se lancer dans l'étalonnage professionnel de ses rushes. Sans parler du fait que cette plateforme permet aussi d'obtenir un DCP final grâce à l'intégration de EasyDCP. On est désormais loin du laboratoire et des allers et retours avec les copies de travail. Un post récent de Noam Kroll rend compte de cette évolution et s'interroge d'ailleurs sur l'avenir des laboratoires et des sociétés de post-production.

mercredi 30 octobre 2013

'Gravity' et le Son



Gravity, le blockbuster d'Alfonso Cuaron, ce ne sont pas seulement des effets visuels hors norme, comme on peut le lire un peu partout. C'est aussi un traitement du son particulièrement efficace dans un milieu où l'on imagine que, bien  sûr, il n'y a pas de son. Alors comment rendre l'atmosphère atone de cette dérive spatiale, surtout en considérant que l'essentiel du film se passe en dehors de l'atmosphère artificielle d'une navette ou d'une station spatiale ? Selon Alfonso Cuaron, le son du film a été conçu en respectant les lois de la physique, à savoir que bien que l'espace soit considéré comme du vide, les ondes sonores peuvent être propagées par les vibrations produites par l'interaction entre éléments (les chocs en particulier), au lieu de l'être par l'atmosphère. C'est pour cela que l'équipe audio a enregistré des vibrations avec ses microphones, plutôt que l'audio propagé à l'air libre.
On notera encore que le son "surround" a été étudié de manière à amplifier l'expérience immersive des spectateurs. Cuaron explique que, quel que soit le lieu d'où provient le son dans le film, que cela soit de derrière un personnage, du hors-champ ou à partir d'un point de vue subjectif, les spectateurs l'entendront de la même manière. Si, par exemple, Sandra Bullock entend quelque chose derrière elle, les spectateurs l'entendront uniquement à partir des enceintes situées derrière eux dans la salle.
Voici une vidéo publiée sur le site SoundWorks Collection, qui lève un coin du voile et qui nous donne par là quelques éléments de réponse :