dimanche 27 avril 2014

4K et Ultra-HD pour tous ?

Dans la flopée de nouveaux appareils tous capables de filmer en 4K DCI et/ou Ultra-HD qui arrivent sur le marché, avec des prix annoncés particulièrement attractifs - voir les annonces faites au NAB - une question me taraude tout de même : et le RAW dans tout ça ? 
En effet, l'information issue du capteur reste, finalement, le meilleur garant de la qualité finale.
Un bref récapitulatif des usages du RAW (merci à Jean-Charles Fouché) :
Le but  du RAW c'est de :
- Travailler avec une quantité maximale de nuances : 12, 14 ou 16 bits, au lieu des 8 bits généralement couverts par la production "low cost".
- Récupérer le signal du capteur d'image le plus directement possible sans aucun pré-traitement (exploitation plus rapide qu'en HD positif car seule l'ouverture du diaphragme est à considérer, comme en 35mm film d'ailleurs).
- Utiliser la puissance de traitement en post-production pour modifier, étalonner l'image à sa convenance : le laboratoire n'est plus dans la caméra (tournage rapide, vulgaire, en vidéo mobile, avec des réglages effectués dans les menus internes de la caméra, sans moyen réel de vérifier le travail), mais dans l'ordinateur en post-production (avec une augmentation notable du temps passé en post-production, et donc du budget).

Le problème, c'est que le format RAW n'est pas standardisé : il y a pratiquement autant de RAW que de caméras ! Chaque constructeur implémente son propre format, incompatible avec les autres. C'est ainsi que chez ARRI on a des fichiers .ari (pour Arriraw), ou R3D chez Red.
C'est pour cela que l'éditeur de logiciels Adobe a crée son propre format RAW, interopérable et appelé Digital Negative ou DNG (sur la base du format TIFF). Pour le cinéma, Adobe a proposé un format CinemaDNG sous la forme d'une suite de fichiers DNG indexés ou encore encapsulés dans un container MXF.

Ci-dessus un exemple de workflow avec le nouveau Sony NEX A7s

Bref, on aurait bien voulu retrouver, chez les "low cost", quelque chose qui ressemble à du RAW. Chez Sony en particulier, (qui présentait un full frame le A7s) ou chez Panasonic qui a fait le "buzz" avec le GH4. Mais non, et Blackmagic Design reste encore la seule firme capable de mettre sur le marché des caméras qui enregistrent directement en CinemaDNG, un format qui, bien que compressé, représente tout de même une alternative élégante au ProRes et DNxHD, surtout lorsqu'on envisage une post-production lourde.
La firme Atomos a annoncé d'autre part la disponibilité prochaine d'un enregistreur, le Shogun, capable, quant à lui, d'enregistrer en 4K et CinemaDNG. Mais ce n'est pas ce qui est fourni sur les sorties HDMI ou 3G HD-SDI des appareils Sony et Panasonic (YCbCr 4:2:2 rappelons-le... sur 8 bits pour l'A7s et 10 bits pour le GH4). Bien évidemment on aurait préféré des infos en provenance directe du capteur (comme Magic Lantern l'a fait avec certains DSLR Canon), quitte à utiliser des LUTs pour la visualisation en tournage.
En fin de compte, c'est peut-être de Chine que vient la véritable nouveauté, avec la firme KINEFINITY, dont la caméra KineMINI 4K est proposée en pré-commande à 3199$ sur le site de la firme, mais comme il faut ajouter les options 4K RAW et HiSpeed, proposées séparément à 669$ chacune, le prix de revient est sensiblement plus élevé qu'une Blackmagic 4K. Reste à voir ces caméras sur le terrain.

lundi 14 avril 2014

'Her' (Spike Jonze) et l'ubiquité

'Her' de Spike Jonze, propose une vision assez intéressante de ce qui arriverait (pourrait arriver ?) si un système d'exploitation informatique disparaissait, en "laissant tomber" en quelque sorte l'ensemble de ses utilisateurs. Bien sûr, ce n'est pas là un thème central du film, mais à un certain tournant de l'intrigue c'est bien à cette situation que le personnage principal (incarné par Joaquin Phoenix) se trouve confronté.
On peut aller plus loin en se demandant ce qui arriverait si tous les systèmes d'exploitation des ordinateurs disparaissaient d'un seul coup. Alors que Spike Jonze n'évoque cette hypothèse que dans le cadre d'une évolution menant au suicide une certaine forme de vie artificielle - ou plutôt d'intelligence artificielle - représentée sous la forme d'un système d'exploitation aux capacités d'apprentissage apparemment illimitées, le shut down généralisé pourrait quand à lui survenir à la suite d'une contamination quelconque des systèmes, à laquelle il serait impossible de remédier.
La perspective d'une catastrophe de cette ampleur, qui signifie tout simplement qu'un beau matin, on allume son ordinateur ou son téléphone "intelligent" et qu'on se retrouve devant un écran vide et silencieux, reste évidemment une vue de l'esprit, mais peut-on pour autant la négliger même si on n'est pas un amateur de science fiction ?
Le film nous amène à aborder aussi une autre problématique, celle qui concerne la tendance à essayer de donner à tout prix des caractères anthropomorphiques aux créations mécaniques issues de l'esprit humain. Ainsi pourrait-on comprendre le fait même d'inventer une relation humain-machine venant suppléer, en quelque sorte, à la vacuité de celles existant entre humains. 
Mais l'aspect le plus fascinant du film reste qu'il nous oblige peut-être à repenser la notion d'information, puisque c'est un flux interminable d'informations qui s'écoule de la machine vers l'homme et de l'homme vers la machine, l'un comme l'autre se régénérant et évoluant à travers cet échange. Ce qui ne va pas toujours sans heurts ni "catastrophes", comme le montre l'épisode, hautement symbolique, de la tentative effectuée par Samantha pour "se donner un corps".
L'information telle qu'on peut la comprendre, et en suivant en cela Gilbert Simondon, "n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation. L'information ne peut se définir en dehors de cet acte d'incidence transformatrice et de l'opération de réception.(...) La réalité locale, le récepteur, est modifiée en son devenir par la réalité incidente, et c'est cette modification de la réalité locale par la réalité incidente qui est la fonction d'information." (Communication et Information, Ed. de la Transparence, 2010, p.159)
Pour qu'un cerveau humain soit capable d'interpréter un document, il doit comprendre dans quelle langue il a été écrit. Il faut donc qu'il ait été instruit au préalable. C'est ainsi que, alors que la théorie de Shannon se focalise sur l'émetteur, l'information au sens de Simondon se focalise elle sur le récepteur, qui est jusqu'ici le cerveau humain. Il importe donc que le récepteur soit instruit pour comprendre les messages de l'émetteur, car sinon ce dernier émettrait dans le vide.
Mais d'où vient alors le message original, celui ayant permis l'instruction préalable du récepteur ? Dans le film de Spike Jonze, la difficulté est résolue par la notion de système évolutif qui, dans un automate programmable tel que 'Samantha', permet à celui-ci d'évoluer par auto-apprentissage jusqu'à atteindre, peut-être, les rivages de connaissances ultimes : la "résurrection" du philosophe Alan Watts est, à cet égard, significative car elle survient à un moment qui annonce le tournant final du film.
Cette capacité d'un système informatique à apprendre et à évoluer est évidemment l'un des principaux objets de recherche de l'Intelligence Artificielle et un des thèmes de prédilection de la Science Fiction (on se souvient de la trilogie Singularité, de Robert J. Sawyer). On sait pourtant que les systèmes actuels sont encore loin de pouvoir mettre en œuvre ce programme, qui est celui d'un réseau évolutif, ubiquitaire et capable d'auto-apprentissage. Un système doté de capacités qui lui confèrent des qualités proches de ce que nous pourrions appeler une conscience.