lundi 7 juillet 2014

Les intermittents du spectacle

Au fait, c'est quoi un "intermittent du spectacle" ? Peu de gens ont l'air de savoir qu'il s'agit de travailleurs embauchés en CDD, dans les métiers de l'audiovisuel et du spectacle vivant,et que le Code du travail a prévu à leur endroit quelques aménagements particuliers du régime général d'indemnisation du chômage, réunis dans les annexes 8 et 10  du même Code.
Pour avoir les idées claires sur ce qui se passe dans ce monde merveilleux de l'audiovisuel, il me semble indispensable, pour peu que l'on se sente concerné par le devenir de ces professions, de jeter au moins un coup d’œil sur deux ouvrages qui font le point sur ces questions : l'un de Mathieu Grégoire, intitulé Les intermittents du spectacle. Enjeux d'un siècle de luttes (La Dispute, 2013) et l'autre de Pierre-Michel Menger, Professeur à l'EHESS, et intitulé Les intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible (Ed. EHESS, 2011).
On voit de suite que l'angle choisi pour traiter la question dans ces deux ouvrages n'est pas le même : une perspective historique (M. Grégoire) pour tenter de comprendre l'origine et les évolutions d'une condition particulière du travail salarié, de l'autre (P-M. Menger) une analyse d'une exception sociale et culturelle énigmatique : l'hyperflexibilité contractuelle de l'emploi, assortie d'une assurance non moins flexible contre le chômage.

Il peut être intéressant de lire, justement, un entretien de Pierre-Michel Menger avec une journaliste du Monde, Anne Chemin, et dont je reproduis ici un paragraphe qui me parait être un résumé parfait de la condition de ces nouveaux ouvriers "à la tâche" de ce début du 21ème siècle :

"Le régime des intermittents du spectacle, qui s’applique à des activités «  par ­nature temporaires  », consacre la liberté totale de l’employeur : s’il est dans le périmètre sectoriel où s’applique le " CDD d’usage ", il n’a pas à expliquer les raisons pour lesquelles il propose un travail de trois heures, de trois jours ou de trois ­semaines, et il n’a aucune responsabilité à l’égard de la carrière des artistes et des techniciens qu’il emploie.
Dans le monde du travail, c’est une asymétrie employeur-employé que l’on ne retrouve nulle part ailleurs : le salarié contracte avec un employeur, mais ce dernier n’est tenu, à aucun titre, de renouveler ultérieurement le lien contractuel, d’assurer le suivi de carrière de son salarié, l’évolution de ses compétences, la gestion de sa retraite. Toutes ces questions sont transférées à des organismes ­sociaux qui prennent en charge la carrière individuelle des artistes et des techniciens. Les directeurs des ressources ­humaines du monde du spectacle, ce sont la caisse des congés payés, les organismes de retraite et l’assurance-chômage ! Dans ce secteur, la fonction d’employeur est " miniaturisée " : c’est une situation unique sur le marché du travail français.
Du côté du salarié aussi, la situation est très particulière : lorsque l’artiste ou le technicien a accumulé, à un rythme discontinu, 507 heures de travail sur une ­durée de dix mois ou de dix mois et demi, s’ouvre une période d’indemnisation qui est la partie la plus certaine de sa rémunération. Il en sort à chaque contrat et y ­retourne à chaque fin de ­contrat, ce qui génère une intrication ­totale entre le chômage et le travail. On ­atteint donc, pour le salarié, une hyperflexibilité assurantielle qui est le symétrique, pour l’employeur, de l’hyperflexibilité contractuelle. Une carrière réussie, dans le monde des intermittents du spectacle, ce n’est pas un emploi continu : c’est une succession, d’année en année, de contrats et de droits à ­indemnisation. L’indemnisation constitue donc un filet de sécurité avec des mailles aussi fines et souples que le système d’emploi lui-même."
(Propos recueillis par Anne Chemin, Le Monde, samedi 28 juin 2014)

A vrai dire,  j'aurais bien aimé entendre là-dessus l'avis des "anciens" Robert Castel et André Gorz, qui nous ont quitté il y a peu... Peut-être auraient-ils pensé que l'évolution du salariat qu'ils avaient entrevu était en train de se réaliser, avec comme éclaireur ce prétendu "statut" des intermittents du spectacle...

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