dimanche 1 novembre 2015

La conservation des médias : un enjeu crucial pour les organisations culturelles

On sait qu'il s'agit là du cœur de métier de l'INA en France. Ailleurs, la question se pose avec tout autant d'acuité à l'heure où la dématérialisation des contenus pose la question de la pérennité des contenus multimédias.
Une série d'articles sur le site du MoMA vient faire le point sur cette question, avec une vidéo à l'appui, qui présente Binder, un outil logiciel pour la gestion de la conservation des données numériques.


Revenons au MoMA. Un problème particulier de conservation des médias concerne les collections vidéo du MoMA. Peter Oleksik a développé cette question dans un article intitulé Digitizing MoMA's Video Collection. Il décrit comment les conservateurs ont du se confronter à la multiplicité des formats vidéo existant dans la collection, ce qui leur demandait des connaissances techniques précises afin de réaliser la migration vers des supports numériques, dématérialisés (là aussi s'est posée la question du choix des formats de fichiers).
Les problèmes sont donc multiples, et pour bien saisir leur portée, il est possible de se référer à un exemple précis : celui du transfert d'une œuvre de Nancy Holt et Ricard Serra,  Boomerang (1974). Le "master" de ce travail était enregistré sur une bande 2 pouces Quadraplex, et après quelque temps, elle avait aussi été enregistrée sur bande 3/4 de pouce U-Matic, sur Betacam SP et dans un fichier vidéo. La question qui se pose c'est comment a été réalisé ce processus de migration ? Quels outils techniques ont été utilisés par les personnels en charge de ce travail ? Pour être précis, le transfert du Betacam SP vers un fichier vidéo avait été réalisé d'abord à travers un magnétoscope numérique Sony DVW-A500 comme lecteur, et une carte  d'acquisition BlackMagic Decklink Studio. Dans la plupart des cas, les conservateurs disposent d'une information précise concernant cette chaine, ou bien ils peuvent effectuer des inférences à propos des dispositifs utilisés. Ils établiront ainsi une sorte d'historique des traitements effectués autour de cette œuvre.
L'information dans ce "flux de travail" (workflow) est enregistrée dans des formats le plus souvent propriétaires, ce qui ne facilite pas la tâche de ceux qui ne sont pas informaticiens. C'est là qu'intervient Binder, qui est une application qui facilite les relations entre différentes itérations. Ce système est utilisé pour enregistrer puis pour accéder aux différents processus dans un format open source standard. L'historique des processus ainsi réalisés est enregistré dans un fichier XML, ce qui permet de récupérer des tags descriptifs qui indiquent ce que chaque morceau de texte représente. Exemple : le numéro de série d'un magnétoscope DVW-A500 pourrait être encodé dans un tag appelé "numéro de série".
On comprend assez rapidement que la quantité de travail à effectuer pour classer de telles œuvres devient rapidement très importante. A ce jour, la musée dispose de plus de 1600 travaux réalisés en vidéo - une collection qui remonte en fait aux tous débuts de "l'art vidéo", et qui prend place dans ne collection de plus de 6000 vidéo. Le MoMA s'est très tôt illustré par son intérêt pour ces nouvelles technologies de l'époque. Trois ans seulement aprsè l'apparition du Portapak (le premier enregistreur vidéo postable), le MoMA projetait une œuvre de Nam June Paik, Lindsay Tape (1967) dans le cadre de l'exposition de 1968 intitulée The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age, organisée par K. G. Pontus Hulten. La pièce était composée de deux magnétoscopes avec des bandes d'un demi pouce, éloignés de 3 mètres l'un de l'autre, avec une bande qui se dévidait d'un magnétoscope tout en étant rembobinée dans l'autre, et cela dans une boucle continue. Au bout d'une semaine de ce traitement, la bande (qui était en fait l'original d'un travail précédent de Paik) a du être arrêtée faute de quoi elle aurait probablement été perdue...
Photo de l'installation ci-dessous :




La vidéo est un médium aux caractéristiques inextricablement liées à celles d'une industrie dans laquelle les avancées technologiques sont très rapides et provoquent régulièrement des remises en question non seulement des équipements et des systèmes, mais aussi des questions relatives au travail, dans son essence même et dans sa finalité.
La transformation rapide et quasi incessante qu'ont connus les supports et les formats d'enregistrement ont ainsi conduit à passer successivement de la cassette VHS au DVD, puis maintenant directement à Netflix pourrait-on dire - c'est à dire plus exactement au streaming, ce qui pose bien sûr la question même de la pérennité des œuvres à travers des problématiques telles que celles relatives au droit d'auteur par exemple. Que vaut réellement un film qui peut être téléchargé des milliers de fois, faire l'objet d'une consommation instantanée, puis être relégué aux oubliettes dans un musée ou pire, dans la vidéothèque d'une société de production ou d'un distributeur anonyme ? que deviendront les films qui ne seront pas estampillés "œuvres d'art" susceptibles de faire partie du patrimoine et donc d'une sauvegarde dans des institutions culturelles ?
En France, c'est l'INA qui est le maitre d’œuvre principal de l'archivage des médias audiovisuels. Son rôle, cependant, va bien au-delà des problèmes de conservation des œuvres vidéo d'un musée, même aussi important que le MoMA.

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