vendredi 22 janvier 2021

A propos du miroir de Claude

Intéressons-nous d’abord à quelques éléments de définition de cet objet, le miroir noir, appelé aussi « miroir de Claude », en référence au peintre le plus connu pour l’avoir utilisé, Claude Gelée dit « le Lorrain ». Dans son livre, Le Miroir noir, Arnaud Maillet en donne d’abord une définition minimale qui est, pour lui, le plus petit dénominateur commun aux miroirs de Claude : miroir convexe teinté. Le noir est la couleur la plus commune du miroir de Claude. Cependant, entre le miroir blanc et le miroir noir, « il existe toute une gamme de couleurs et de valeurs possibles, y compris la couleur argent – de valeur variable… Ces différents tains ou couleurs, selon la technique de fabrication du miroir, servaient à obtenir des effets variés  selon le temps… Mais quel que soit le miroir de Claude retenu, la valeur de sa couleur tend toujours vers le sombre »[1].

Miroir noir, dit "miroir de Claude" (image reprise du site Le Compendium)

 L’autre caractéristique du miroir de Claude est sa convexité. Elle va jouer un rôle important dans la perception de l’espace et le rendu de la perspective. Cette convexité est très peu prononcée, afin de permettre d’y voir aussi les objets distants et de petite taille. Enfin, Arnaud Maillet note que les formes de ces miroirs varient elles aussi. Ainsi, « Le Science Museum de Londres possède quatre types de miroirs de Claude : carré, rectangulaire, circulaire et ovale… Mais dans l’esprit des gens de lettres du XVIIIe siècle, le miroir de Claude reste le plus souvent circulaire… De façon générale, si ces miroirs étaient plutôt circulaires au XVIIIe siècle, ils seront davantage rectangulaires au XIXe siècle.»[2]

Il reste que, selon l’auteur, il est devenu difficile de trouver aujourd’hui des exemplaires bien conservés de ces objets qui, s’ils n’ont pas été donnés à des brocanteurs, sont le plus souvent conservés chez des particuliers. En réalité, ajoute Arnaud Maillet, « j’ai bien du mal à croire que les grandes institutions n’en détiennent pas dans leurs réserves. Ils doivent être au fond des collections, oubliés à cause des vicissitudes de l’histoire, des modes de conservation, des goûts historiques personnels des conservateurs mais aussi maintenus là simplement par une totale ignorance de cet instrument. »[3]

Intéressons-nous cependant à un autre aspect de l’utilisation de succédanés et de miroirs de Claude, cette fois en photographie. En effet, l’utilisation d’un miroir noir, ou d’un dispositif qui y ressemble, ne sert plus à modifier un éclairage naturel afin de créer une « lumière vespérale, mais à retrouver le contraste d’une lumière naturelle déformée par l’éclairage artificiel d’un  intérieur… »[4] On peut donc considérer que l’utilisation de verres de contraste par les chefs opérateurs de cinéma a longtemps permis d’éviter les surprises désagréables au moment du tirage en laboratoire.

Dans le livre d’Arnaud Maillet, Le Miroir noir, on trouve ainsi deux photographies montrant l’une le cinéaste Jean-Marie Straub regardant à travers un verre de contraste, et l’autre le chef opérateur William Lubtchansky observant un reflet dans son verre de contraste. D’après Arnaud Maillet, « Ce verre donne une idée (selon Danièle Huillet, épouse de Jean-Marie Straub, qui insiste sur ce mot) de ce que sera le contraste sur la pellicule une fois impressionnée. Car si l’œil ne cesse de corriger les variations lumineuses et les contrastes, la pellicule, elle, ne le fait pas, comme me l’a précisé le chef-opérateur Renato Berta. Pour les pellicules noir et blanc, un verre jaune tirant légèrement sur le marron est utilisé. Il en existe d’autres pour les pellicules couleur, comme le verre bleuté. Pour chaque sensibilité de pellicule on a créé un verre de contraste correspondant. Il ne s’agit donc pas d’un filtre coloré, comme les verres de Claude, qui modifie les couleurs, mais d’un verre qui donne une idée des contrastes, à la manière du miroir de Claude. Du reste, l’opérateur Claude Renoir se servait de ce verre non pas en regardant à travers cet instrument, mais comme d’un miroir en le collant parfois très près de son œil, sur son nez afin d’y voir un reflet très net dont la teinte et surtout le ton soient identiques à ceux observables sur un bon miroir de Claude » (Le Miroir noir, p. 106)

[1] Arnaud MAILLET, Le Miroir noir, Ed. Kargo, Paris, 2005, p.13.

[2] Op.cit. p. 16.

[3] Ibid. p. 26.

[4] Op. cit. p. 105.

 

Figure 1 William Lubtchansky observant un reflet dans son verre de contraste


Figure 2 Jean-Marie Straub regardant à travers un verre de contraste


 

Bibliographie :

 En dehors de ce livre, Le Miroir noir, paru aux éditions Kargo – l’Eclat en 2005, on retiendra la parution prochaine aux Presses du Réel de la thèse de doctorat d’Arnaud Maillet : « Les peintres et les instruments d’optique (1750 – 1850) »

Une autre référence intéressante (bien qu’il n’y soit jamais question du miroir noir du Lorrain) :  Le Miroir, par Jurgis Baltrusaïtis, Elmayan – Le Seuil, Paris, 1978.

Dans une autre perspective, illusionniste cette fois, l’utilisation de miroirs par des artistes contemporains renvoie (entre autres) aux installations, réelles ou imaginaires, du père jésuite Athanasius Kircher (1602 – 1680), décrites dans son ouvrage, Ars magna lucis et umbrae (Le grand art de la lumière et de l’ombre) ainsi qu'aux diverses théories et réalisations concernant les miroirs paraboliques et les miroirs ardents depuis l'antiquité. On pourra voir, par exemple, les installations de Markus Raetz et de Felice Varini au Château d’Oiron dans les Deux-Sèvres ou les anamorphoses photographiées par Georges Rousse…

 


Figures 3 et 4 : Silhouette, par Markus Raetz, Oiron (1992)


Un autre thème récurrent, celui de la traversée du miroir, se retrouve dans la littérature (Alice…) et au cinéma (Le Sang d’un poète, Jean Cocteau, 1930).

On peut encore décliner de différentes manières le thème des silhouettes et du miroir ou des silhouettes dans le miroir (photo prise à l’intérieur du château d’Oiron) : 


 




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