vendredi 28 février 2014

Dudley Andrew : Une idée du cinéma

"Les mauvais cinéastes (c'est triste pour eux) n'ont pas d'idées. Les bons cinéastes (c'est leur limite) en ont plutôt trop. Les grands cinéastes (surtout les inventeurs) n'en ont qu'une. Fixe, elle leur permet de tenir la route et de la faire passer au milieu d'un paysage toujours nouveau et intéressant. La rançon est connue : une certaine solitude. Et les grands critiques ? C'est la même chose, sauf qu'il n'y en a pas. Ils passent (leur chemin, de mode, derrière la caméra), ils cassent (la baraque, puis les pieds) et pour finir, ils lassent. Tous, sauf un. Entre 1943 et 1958 (année de sa mort : il n'avait que quarante ans), André Bazin fut celui-là. (...) Dans la France de l'après-guerre (...) Bazin fut à la fois héritier et précurseur, figure de proue et passeur."
- Serge Daney, 19 août 1983, dans Ciné journal. 1981-1986, p.172.

A quelques heures de la 39ème cérémonie des Césars, le rallye habituel des habitués du grand et du petit écran, il me semble intéressant de signaler ici la traduction du livre de Dudley Andrew, What Cinema Is! qui vient de paraitre sous le titre Une idée du cinéma dans une collection belge, (SIC), distribuée en France par les Presses du Réel. 
Quel rapport avec les Césars ? Eh bien, parce que la réflexion de Dudley  Andrew s'articule autour d'une tentative pour repenser la théorie du cinéma au moment où se produit une transformation complète de la sphère médiatique, aussi bien dans le domaine de la production, des thématiques abordées que des technologies utilisées. Pour D. Andrew, exégète et biographe d'André Bazin, la quête qui consiste à retracer le chemin qui mène du passé au futur de cet art incertain ne doit pas être abandonnée. Bien plus, et alors que s'achève aujourd'hui la transition vers le numérique, le cinéma porte toujours "une revendication de réalisme comme nul autre art n'avait été en mesure de le faire auparavant." (p.28) Ce qui signifie que les stratégies que le cinéma a inventées comme exemplaires d'une certaine manière de raconter des histoires (la profondeur de champ, les mouvements d'appareil ou le plan séquence) sont toujours à l’œuvre aujourd'hui, et ce quelles que soient les technologies, les styles et les genres particuliers. 
Le livre de Dudley Andrew s'articule autour de trois idées, qui recouvrent trois domaines d'investigation correspondant aux trois phases qui décrivent la vie et les différentes étapes marquant la transformation de l'idée à sa réalisation finale : l'enregistrement, la composition et la projection. Dans la division du travail telle qu'elle apparaissait dans le cinéma classique, chacune de ces phases pouvait être associée à un appareil : la caméra, la table de montage, le projecteur. La technologie numérique a supplanté au 21ème siècle ce qui était en fait une machinerie du 19ème siècle. Il s'agit donc de retourner aux opérations fondamentales du cinéma, et de voir ce qu'il en reste, alors que l'idée même d'une continuité du réel dans la représentation par le cinématographe est aujourd'hui remise en question.
Pour finir, dans un chapitre qui a pour thème "l'impureté inhérente au cinéma et son penchant pour l'adaptation", D. Andrew cherche à identifier les caractéristiques durables de cet art fragile, dont les évolutions passent régulièrement par des étapes significatives tous les trente ou quarante ans.

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